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Alain Rozenkier, président de «la paix maintenant», à L’Express : «Netanyahu est très dangereux»

L’EXPRESS : CET HOMME EST DANGEREUX, EST LE TITRE D’UN ARTICLE QUE VOUS AVEZ PUBLIÉ, PARLANT DE NETANYAHU. VOUS ÉVOQUIEZ LE PEU DE COURTOISIE DONT IL A FAIT PREUVE ENVERS LA JORDANIE. PARLEZ-NOUS-EN. ALAIN ROZENKIER

Alain Rozenkier : Cet homme est effectivement dangereux pour Israël, pour sa sécurité en ce qu’il se refuse à toute avancée dans le processus de négociations en vue de résoudre politiquement le conflit israélo-palestinien. Il convient de préciser qu’il ne porte pas toute la responsabilité de sa dangerosité. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur les raisons du déclanchement de la confrontation actuelle mais une autre politique, une prise en compte des demandes de multiples acteurs de la société civile et politique s’agissant des expulsion à venir à Jérusalem-Est, des décisions irrationnelles de la police.

COMMENT NETANYAHU EST VU EN ISRAËL ?

Comme dans tout pays démocratique, l’opinion publique en Israël est plurielle…et changeante. Certains considèrent Netanyahu comme le gardien d’Israël, son sauveur, son « roi ». D’autres considèrent qu’il a fait son temps, quel que soit le regard qu’on porte sur son action, ses acquis et ses échecs. La corruption, la volonté absolue de sauver « sa peau » en regard des procédures judiciaire en cour nécessitent qu’il s’éloigne du pouvoir. Il faut bien se rendre compte qu’il est resté en poste plus longtemps que David Ben Gourion. Même de droite, ils en viennent au constat qu’il faut à tout le moins changer l’homme à défaut de politique.

LES DOULOUREUX ÉVÉNEMENTS QUI ONT LIEU A GHAZA, EL QODS, EL AQSA ET ISRAEL CONFORTENT VOTRE APPRÉHENSION ENVERS NETANYAHU. LA CONFRONTATION EST ELLE DANS SES INTÉRÊTS ÉLECTORAUX ?

La confrontation actuelle sert sans conteste ses intérêts: il était relégué en fin de peloton -pour parler cyclisme-. Il devait même décrocher et un « gouvernement de changement » était sur le point d’être constitué avec le soutien d’un parti arabe israélien, le Ra’am. Le voilà maintenant de retour dans le groupe de tête. Le gouvernement prévu est mal en point, voire impossible. Il est redevenu incontournable et en cas de nouvelles élections, possibles sinon probables, le rôle de « chef de guerre » qu’il vient d’endosser, pourrait constituer un avantage. Tout dépendra de l’issue de la confrontation. Mais cette confrontation sert tout autant le Hamas qui, on ne le répètera jamais assez, a pris l’initiative de la déclencher sur le dos de la population civile, israélienne certes, mais plus encore palestinienne. Elle en paye le prix fort, et nous le déplorons car une victime reste une victime quelle que soit son appartenance. La souffrance des Gazaouis n’est une surprise pour personne et surtout pas pour le Hamas.

CERTAINS ISRAÉLIENS QUI DÉNONCENT LE VA T EN GUERRE DE NETANYAHU ACCUSENT CELUI- CI D’AVOIR PROVOQUÉ LA CONFRONTATION EN EXPULSANT NOMBRE DE FAMILLES DE CHEIKH DJERRAH, DANS LE BUT DE GLANER DES POINTS EN PERSPECTIVE DES PROCHAINES ÉLECTIONS EN ISRAËL. QU EN PENSEZ-VOUS?

Je l’ai déjà évoqué. Ce conflit l’arrange mais ce n’est pas lui qui l’a provoqué. Les procédures d’expulsions de palestiniens sont dangereuses, condamnables et illégitimes, c’est pour cela qu’il y a une opposition à ces procédures, opposition qui regroupe des Juifs et des Arabes qui veulent une ville où les communautés vivent en voisinage et non en en camp retranché.

D’AUTRES ISRAÉLIENS ACCUSENT NETANYAHU DE VOULOIR ÉCHAPPER À LA JUSTICE POUR LES AFFAIRES DE CORRUPTION DONT IL EST ACCUSÉ.

Effectivement nombreux sont ceux qui expriment ce point de vue, au-delà de leur appartenance politique. C’est ce qui explique la mobilisation citoyenne dans le cadre de la « protestation sociale » qui, pendant plusieurs mois a mobilisé des foules importantes chaque fin de semaine, dans les villes, sur les ponts, aux carrefours, dans l’ensemble du pays. Pour une histoire de nombre d’agents de sécurité et de quelques armes en plus de celles qui auraient été négociées, le Prince héritier du royaume hachémite, qui souhaitait se rendre à la mosquée Al Aqsa et y prier durant la nuit de l’Israa’ et du Mi’araj, ce qui est important pour tous les musulmans, a été contraint d’annuler sa visite.

C’est ce que vous avez écrit. POUR QUEL BUT NETANYAHU A ADOPTÉ CE COMPORTEMENT HOSTILE ENVERS LA JORDANIE ?

On pourrait sans doute proposer une lecture inversée de cet incident. Fallait-il annuler une visite de cette importance au prétexte de telles futilités? La majesté se mesure-t-elle au nombre de ses gardes du corps et de la « ferraille » qu’ils trainent avec eux? Plus sérieusement et hors polémique, cet incident illustre une mauvaise appréciation de l’importance pour Israël de ses relations avec la Jordanie. Cette erreur est d’ailleurs dénoncée par plusieurs experts et diplomates israéliens. Prendre le risque de mettre à mal ces relations, stratégiques pour Israël, pour donner quelques gages symboliques à ses alliés de droite dont le soutien est nécessaire pour enrayer les procédures judicaires est un autre signe de la dangerosité de Netanyahu dont le devenir personnel l’emporte sur l’intérêt du pays.

NETANYAHU N’ A, JUSQU’À PRÉSENT, PAS PU SE RENDRE AUX EMIRATS ARABES. QUELLES EN SERAIENT LES RAISONS, D’APRÈS VOUS ?

Les raisons je pense tiennent au contexte électoral en Israël et à une prudence de la part des Emirats qui, c’est normal, s’efforcent de ménager l’avenir, ce que n’a pas su faire Netanyahu s’agissant des USA, lui qui a tout misé sur Trump et les Républicains. Bien entendu, les accords d’Abraham ne sont pas remis en cause ni le « relativisme » de la question palestinienne, qui n’a pas disparu pour autant des considérations des Etats arabes impliqués dans ces accords. Simplement la Palestine n’est plus, n’est pas l’unique facteur de décision. On le constate à partir des positions de ces Etats vis à vis du conflit actuel. Il y a eu comme vous l’ avez noté l’accueil en fanfare d’un officier de sécurité israélien qui avait tué deux citoyens jordaniens dans des circonstances peu claires dans un appartement appartenant à l’ambassade d’Israël à Amman. Un dédommagement très élevé avait été accordé aux victimes mais l’officier n’avait pas été jugé par un tribunal israélien, comme Amman avait exigé, comme vous avez précisé.

COMMENT EXPLIQUEZ- VOUS CE COMPORTEMENT HOSTILE À LA PAIX ADOPTÉ PAR NETANYAHU ?

Je pense qu’on peut faire l’économie de cette question: on a déjà parlé de la Jordanie

NETANYAHU EST IL UN INTERLOCUTEUR CRÉDIBLE POUR LA PAIX, LUI QUI A INTERDIT LES VOLS POUR LA JORDANIE ?

Tout d’abord Netanyahu n’a pas interdit les vols pour la Jordanie. Il a failli fermer en mars dernier l’espace aérien israélien aux vols à destination et en provenance de la Jordanie en représailles au retard imposé par Amman à l’avion qui devait l’amener aux Émirats arabes unis, voyage qui finalement a dû être annulé. Netanyahu, à la différence d’autres leaders dans d’autres pats, ne peut malgré tout faire tout ce qui lui passe par la tête et il a été contraint de renoncer à cette idée saugrenue. Ce n’est pas cette péripétie qui l’invalide en tant qu’interlocuteur crédible pour la paix. Ce qui est en cause, c’est sa politique, ce sont ses prises de position. Quel appel lancez-vous pour la paix engageant les palestiniens et les israéliens. Ce ne sont pas les appels qui sont nécessaires mais les actions qui deviennent indispensables pour éviter que la situation ne se détériore davantage encore. Il est urgent que les combats cessent mais si l’on veut éviter un nouveau round dans quelques mois ou années, il convient de s’attaquer au fond du problème, progressivement sans doute mais avec une perspective. Les acteurs locaux seuls ne sont pas à même de le faire. L’engagement de la communauté internationale est incontournable, un engagement qui ne peut être que directif car aucune des parties en présence n’acceptera les compromis et renoncement qu’un éventuel accord impliquera.

La «Paix maintenant» est un mouvement extra-parlementaire israélien créé en 1978 par 300 officiers de réserve de l’armée israélienne. Indépendant des partis politiques, son objectif est «de convaincre l’opinion publique et le gouvernement israélien qu’il est possible et nécessaire d’aboutir par la négociation, d’abord, à une paix juste et durable fondée sur le principe De peuples, deux États puis, à une réconciliation entre Israël, le futur État Palestinien et les autres pays arabes voisins. Il vise donc à la reconnaissance d’un État palestinien, tout en se réclamant sioniste. Le président de La Paix Maintenant dénonce, dans cet entretien, Netanyahu, et l’accuse d’accorder la priorité à ses intérêts et non à la paix

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