Avec un « ogre » bureaucratique de 2,5 millions de salariés, l’Algérie traîne sa lourdeur comme un condamné traîne son boulet. Les décisions de modernisation passent difficilement, quand il n’y a pas de résistance ouverte.
En fait, les habitudes deviennent une nature, pas même une seconde nature. Les acquis, qui se cachent derrière, la carrière, la vie lente, douce et sans problèmes, tout cela incite à garder en l’état les acquis, les meours et les coutumes du travail.
On est loin de la compétence et de la performance comme arme professionnelles pour avancer et progresser. La nouvelle génération de la jeunesse urbaine ne croit plus en la valeur civilisatrice du travail. C’est un constat ancien, qui date peut-être de la fin des années quatre-vingt. Les émeutes d’Octobre 1988 ont été une ligne de fracture entre les anciens et les nouveaux. La jeunesse urbaine déshéritée, qui a donné sa puissance au FIS, au GIA, à la sédition et à la révolte au nom de l’islam ou au nom de la contestation sociale, pense que la génération d’avant a été soumise à une exploitation cruelle de la part de l’administration bureaucrate et de la part des chefs d’entreprises publiques, « pour des prunes ». Les jeunes d’aujourd’hui croient que leurs parents ont été impitoyablement et injustement exploités, à fond, pour un salaire de misère, lequel a totalement sapé l’avenir de leurs enfants. Retraités avec 18 000 dinars mensuels comme unique ressource, ces parents ont regardé leurs enfants grandir avec une autre manière de vivre et de réagir.
Pour les jeunes, désormais, ce n’est plus le travail, la sueur et la rigueur qui font la réussite en Algérie, mais les affaires, les entourloupes et la corruption. Du coup, la valeur du travail recule, s’incline. Une nouvelle génération est née. On les voit aujourd’hui, ces jeunes, au volant de voitures flambants neuf, accoutrés dispendieusement, les poches pleines. C’est bien, comme images d’une jeunesse « speed », active, créative et « fonceuse ». Sauf que souvent, il s’agit soit de jeunes hommes qui vivent aux crochets de parents aisés, issus de la nomenklatura au pouvoir, ou de jeunes des quartiers déshérités, qui se sont enrichis rapidement dans les « zetla-bandes » et les « cachiyates-connexion ». Les rares cas de réussite « propre » sont bel et bien l’exception à cette règle générale.
Le fonctionnariat crée la paresse, l’oisiveté, l’inertie, parce que justement, le statut de fonctionnaire assure à celui-ci son salaire et le maintien à son poste de travail. A aucun moment, il n’est confronté à la concurrence, à l’obligation de résultats, à la rivalité Il est là, jour après jour, et c’est sa seule présence qui lui assure son salaire. Et chaque année, il fait l’objet d’une évaluation pour une augmentation de salaire ou d’échelon. La seule base d’avancement, le critère d’évaluation reposent sur son ancienneté.
Beaucoup de médias, audiovisuels ou écrits, reproduisent le même schéma : des fonctionnaires sont recrutés, et ils sont là : ils travaillent, sans éclat, sans génie, ils produisent et reproduisent des choses sans aucune originalité, se liguent parfois, ou même souvent, en lobbies puissants, pour faire pièce aux journalistes qui font mieux, qui avancent plus rapidement ou qui font preuve de génie, d’originalité et d’ingéniosité.