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Alger

12 000 médecins algériens en France alors que nos des centaines de nos hôpitaux en sont dépourvus

L’objectif principal de l’activité hospitalo-universitaire (HU) n’est certainement pas de former des chefs de service, mais d’améliorer la santé publique et d’assurer aux citoyens des 48 wilayas du pays, des soins, préventifs et curatifs, de qualité et conformes aux données actuelles de la science. La qualité des soins et de la formation dans un service HU n’est que le reflet de l’honnêteté, de la compétence et du charisme du chef de ce service, caractéristiques qui ne peuvent être mises en évidence que par une concurrence loyale, sans exclusion et basée essentiellement sur le mérite scientifique. D’où l’importance de ces concours. Nous constatons, ces dernières années, une régression continue de la qualité de ces prestations en Algérie ! Pourquoi ? Le présent article, tiré de faits authentiques, vécus depuis 1994, essaye d’apporter une réponse objective à cette question fondamentale !

Dans sa conférence de presse il y a bientôt sept ans, le 29 mai 2011, à Alger (Résidence El Mithak), Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre de la République algérienne démocratique et populaire, avait déploré, à juste titre, les disparités régionales en matière de santé et a donné les arguments qui empêchent son gouvernement d’accéder à certaines revendications des 5000 médecins résidents en grève depuis le 14 mars 2011.

Il expliqua d’abord que tous les points peuvent être discutés, mais pour ce qui est de l’abrogation du service civil, il précisa : «… Dans le Sud, 80% de la couverture sanitaire des wilayas de Tamanrasset, Tindouf et Illizi est assurée par des médecins du service civil ; il en est de même pour les Hauts-Plateaux, où cette couverture est assurée à 50% par le service civil dans certaines wilayas, telles Aïn Témouchent qui est une wilaya côtière, Constantine, Médéa et même Djelfa… On ne s’est pas comporté en Algérie avec nos habitants du Sud d’une manière différente de celle de nos habitants du Nord…».

Une faillite programmée du système national de santé 

Certes, il n’y a pas pire douleur morale que la mort, faute de moyens humains et matériels, d’une mère de famille lors d’un accouchement, mais, malheureusement, cette mort atroce est encore fréquente en Algérie, après plus de trois décennies d’instauration du service civil (loi n°84-10 du 11 février 1984) et de la création des CHU (décret n°86-25 du 11 février 1986). Pourquoi ? Est-ce-que les 55 années d’indépendance ont été insuffisantes à un pays aussi riche que l’Algérie pour assurer ne serait-ce qu’un semblant d’équilibre régional et un minimum de développement local pour chaque région ?

Est-ce que les 34 années écoulées depuis l’instauration du service civil n’ont pas été suffisantes pour sommer les walis des 48 wilayas du pays d’offrir des mesures incitatives et d’assurer des conditions de travail et d’accueil adéquates pour cette élite intellectuelle, ne serait-ce qu’un hôpital décent par chef-lieu de wilaya afin de garantir localement à leurs populations des soins préventifs et curatifs conformes aux données actuelles de la science, comme l’exige la loi ?

N’est-il pas triste qu’on fasse encore appel, en 2018, à des équipes médicales étrangères pour soigner nos malades, alors qu’uniquement en France, pas moins de 12 000 de nos meilleurs médecins y exercent actuellement ? Que sont devenus les milliers de spécialistes formés durant des générations par l’université algérienne au prix d’énormes sacrifices ? Combien sont-ils restés dans des zones enclavées ? Combien sont-ils restés en Algérie ? Pourquoi ont-ils quitté leur merveilleux pays ? Pourquoi… ?

Pourquoi avoir abandonné, en moins de cinq années après sa création et sans l’évaluer, un système national de santé fortement recommandé par l’OMS et qui a fait ses preuves d’efficacité dans tous les pays où il a été utilisé, celui des Secteurs sanitaires (SS) et/ou universitaires (SSU) créés en 1981 (décret n°242 du 05 septembre 1981), alors qu’il assurait le respect du découpage administratif national, la hiérarchisation des soins et de la formation médicale, ainsi qu’une couverture sanitaire harmonieuse de toute l’Algérie (à raison d’un SS ou SSU par daïra dans chacune des 548 daïras, nous aurions eu 548 SSU potentiels !) ?

Pourquoi est-ce que durant 27 années (1986/2012), 38 parmi les 48 wilayas du pays ont été privées des «prestations de pointe» des 13 CHU algériens, implantés dans seulement 10 wilayas du Nord de notre pays continent ? Que sont devenus les vœux émis par Monsieur le président de la République, lors de l’ouverture solennelle de l’année universitaire 2011/2012, à Laghouat, le 14 décembre 2011, de création, même au Sud, d’autres universités et CHU ?

Est-ce par hasard que, juste après la création de cinq nouveaux CHU en 2012, dont trois au Sud, il a été décidé, le 31 octobre 2013 (la veille du 1er novembre), de mettre fin à la fonction de 460 professeurs chefs de service HU, laissant ainsi des services HU, même au niveau de la capitale, sans rangs magistraux ? Qui va alors assurer la gestion de ces nouvelles structures ? Ces rafistolages par le service civil et les jumelages des hôpitaux de l’intérieur avec ceux du Nord n’auraient-ils pas contribué, pour beaucoup, à pérenniser le retard de développement et l’isolement des zones enclavées ?

Est-il normal qu’un secteur aussi stratégique que la santé reste géré par une même loi promulguée il y a 33 ans dans un tout autre contexte socio-politique et économique de gratuité des soins (loi 85-05 du 16 février 1985) ? Pourquoi est-ce que le projet de la nouvelle loi sanitaire est-il toujours au stade de projet, alors que sa première mouture a été finalisée depuis 2002 (16 ans !) ?

Ces disparités régionales évidentes et ces inégalités devant la mort ne sont-elles pas la preuve irréfutable d’un échec total de la politique sanitaire nationale menée, contre vents et marées, depuis la création des CHU en 1986 ? Jusqu’à quand allons-nous continuer à dilapider notre véritable trésor, notre capital humain et poursuivre encore cette politique de ségrégation, de marginalisation, d’exclusion et de matraquage des compétences nationales ?

Une dévalorisation de l’élite intellectuelle algérienne

Le 6 juillet 2011, alors que cette fameuse grève nationale des médecins résidents était au terme de son 4e mois, j’ai été agressé par le ton autoritaire de mon 1er appel téléphonique de la journée : «Professeur Bengounia, je suis la secrétaire de monsieur le secrétaire général du ministère de la Santé. Il vous dit qu’il vous attend dans son bureau à midi ! » J’ai répondu froidement : «Je n’ai fais aucune demande d’audience et je ne serai pas disponible avant 17h !».

Juste avant 17h, j’ai croisé, dans le couloir du 3e étage du MSPRH, le Directeur général de l’un de nos 13 CHU. Ce dernier m’informa nonchalamment : «Tous les DG des CHU ont été convoqués aujourd’hui pour une réunion importante présidée par monsieur le ministre et son SG. On nous a instruit d’arrêter la paye des résidents grévistes.

Le SG nous a également dit : ‘‘Qu’est-ce-que c’est que ces médecins qui écrivent dans la presse sans demander d’autorisation, nous avons d’ailleurs convoqué aujourd’hui un professeur du CHU Mustapha…(Sic) »».

Contre toute attente, lors de cette entrevue, monsieur le SG ne m’a parlé ni de cette grève des résidents qui restait toujours sans issue, ni même de ma contribution en rapport avec cet événement et publiée ce matin même (06.07.2011), dans le quotidien El Watan, sous l’intitulé : «Le changement de la politique nationale de santé est impératif».

Il semblait, par contre, avoir été subitement pris par une envie impérieuse de régler tous mes problèmes administratifs et financiers, et s’est engagé à payer mes arriérés de salaires pour la période de 1995 à 2007 (12 années !). J’attends, à ce jour, que le MSPRH honore ses engagements, paye ses dettes et ouvre, surtout, une enquête !

Sept années plus tard, rien n’a changé ! Ni je n’ai été rétabli dans mes droits, ni le service civil n’a été, comme promis aux résidents grévistes de 2011, abrogé dans les trois années qui ont suivi ! Le 14 novembre 2017, nos résidents sont de nouveau en grève et, le 3 janvier 2018, ils sont matraqués par nos policiers à l’intérieur même de l’enceinte hospitalière du plus important CHU du pays.

En voyant les visages ensanglantés de notre jeune élite intellectuelle, l’espoir de l’Algérie de demain, ma mémoire me projeta, subitement, dans le passé, pour entendre les propos, lourds de sens, tenus il y a 35 ans par notre ministre de la Santé, le regretté Abderrezak Bouhara (ancien commandant de l’ALN et commandant des Forces algériennes au Moyen-Orient).

En 1983, j’ai eu l’honneur et le plaisir, ainsi que tous les membres du conseil médical du SSU de Hussein Dey, d’assister à une séance de travail qu’il présida majestueusement. Les présents ont été les témoins du dialogue suivant entre un professeur chef de service HU d’il y a 35 ans et un ministre de la Santé de l’époque :

– Le professeur : «Avec la cherté de la vie, on n’arrive plus à joindre les deux bouts, la viande est à 120 DA et nous sommes sous-payés»

– Le ministre : «Le médecin est le citoyen algérien le mieux payé !»

– Le professeur : «Mieux que le ministre ?»

– Le ministre : «Oui, mieux que le ministre, je vous ai précisé, le citoyen algérien le mieux payé ! »

– Le professeur : «Mieux que le Président ?» Là, le ministre marqua un temps d’arrêt, puis, sans répondre ni faire la moindre remarque, il poursuivit sereinement son tour de table et désigna le suivant :

– «Vous avez la parole professeur…».

Malheureusement, on est bien loin de ce temps là, où le médecin était le citoyen algérien le mieux payé, le mieux considéré et où même un ministre, par respect, ne pouvait même pas lui faire de remarque pour ses écarts. Aujourd’hui, le médecin algérien est interdit de revendiquer ses droits les plus élémentaires, pas même son droit constitutionnel à l’égalité avec ses compatriotes. Pourtant, la Constitution algérienne de 2016 est claire en matière d’égalité des citoyens, notamment dans ses Articles 32, 34, et 63.

Ainsi, cette inconstitutionnalité s’est traduite sur le terrain par une véritable inversion des données sélectives au sein de notre société. Le médecin algérien a fait une chute libre dans l’échelle des valeurs sociales et a été réduit à raser les murs des hôpitaux.

Il a, malheureusement, emporté avec lui, dans sa chute, la qualité des soins et de la formation médicale en Algérie, ainsi que la confiance qu’avaient autrefois en lui ses malades qui, aujourd’hui, cherchent, à tout prix, des soins à l’étranger, voire même chez le voisin tunisien.

Comment ne pas avoir besoin d’un pontage coronarien en entendant le directeur de la tutelle des hôpitaux tunisiens, le Dr Hadi Achouri, lors d’une conférence à Alger, en 2002, martelait fièrement, devant un parterre de médecins algériens : «Nous sommes débordés par les malades algériens qui viennent se soigner en Tunisie, surtout pour des pontages coronariens et des fécondations in vitro» ?

N’avons-nous pas formé le plus grand nombre de médecins spécialistes au Maghreb ? La faculté de médecine d’Alger n’avait-elle pas formé de nombreux confrères tunisiens et n’était-elle pas, jadis, classée immédiatement après celle de Paris ? Où en est la greffe d’organes en Algérie ? A qui profite cette régression inimaginable de la médecine algérienne ?

L’expérience humaine, à travers sa longue histoire, nous enseigne que, depuis la nuit des temps, «El Hakim», qui signifie en langue arabe le sage et le médecin, a toujours joui d’une place privilégiée dans toutes les sociétés et d’un respect tout particulier, même par les plus grands despotes de l’histoire. Onze siècles après sa disparition, les intellectuels du monde entier connaissent encore le célèbre médecin Errazi (Abou Bakr Mouhammed Ibn Zakaria, dit Rhazès, 864-925), mais presque personne n’entend parler de Noh Ibn Mansour, l’émir de Boukhara qui l’avait malmené et failli le tuer.

Une déstabilisation des services HU par l’inconstitutionnalité !

Le 21 décembre 2017, messieurs les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé viennent, une fois encore, de violer délibérément la Constitution algérienne. Ils ont signé un arrêté interministériel portant organisation d’un nouveau concours de chefferie de service HU, où ils ont reconduit encore cette fameuse clause discriminatoire, qui limite l’âge des candidats à 62 ans et viole carrément les articles 32, 34 et 63 de la Constitution algérienne de 2016.

En 2016, ces mêmes ministres avaient déjà fait fi des dispositions arrêtées par les services de la présidence de la République (SGG) dans le Journal officiel n°61 du 19 octobre 2016. Mais, bien qu’enlevée dans le JO pour son caractère discriminatoire, cette clause avait été irrégulièrement remise dans l’arrêté interministériel du 27 novembre 2016 d’ouverture du concours.

D’autant plus grave, cette inconstitutionnalité a été mortelle pour l’un des 12 candidats illégalement privés de leur droit légitime de concourir et, de plus, elle a déjà fait couler beaucoup d’encre en 2017 (voir la presse nationale du 4 avril 2017, El Watan des 8 et 9 février, 28 mars et 19 août 2017 ; Liberté du 29 juillet 2017; Le Courrier du 6 août 2017 ;…).

Alors que j’attendais une réponse à ma lettre ouverte adressée, depuis plus de cinq mois, à Monsieur le président de la République pour cette gravissime inconstitutionnalité, lette publiée dans le quotidien national El Watan du 19 août 2017 sous l’intitulé : «22 années d’injustice, de ségrégation et de violation des droits de l’homme !», j’ai été surpris par cet arrêté absurde du 21 décembre 2017.

Je n’en croyais pas mes yeux en voyant cette incroyable régression des droits de l’homme dans mon pays qui sacrifia plus d’un million et demi de chouhada pour ses idéaux de souveraineté, de dignité, d’égalité et de liberté.

Comme en témoignent mes écrits publiés dans la presse nationale entre 1990 («Pour des critères d’inscription plus rationnels à l’université» – El Moudjahid du 16 octobre 1990) et 2017 («Concours de chefferie de service hospitalo-universitaire : halte aux passe-droits !» – Liberté des 28 et 29 juillet 2017 »), ainsi que mes conférences de presse depuis 2007, j’ai essayé, vainement, durant plus de trois décennies, d’attirer l’attention des autorités sanitaires nationales sur les dangers de l’inconstitutionnalité qui consacre les disparités régionales et viole carrément le principe d’égalité des citoyens, un principe fondamental pour la cohésion sociale et le développement des nations.

C’est par la sacralisation de la loi que sont édifiées les plus grandes nations du monde, messieurs les ministres ! Aux USA, il n’y a pas pire crime que la violation d’une loi fédérale !

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