Après deux semaines d’enchères en ligne chez Christie’s – première fois que la maison propose une pièce 100% virtuelle – son « Everyday : the First 5.000 days », a été adjugé 69,3 millions de dollars. Le propulsant dans la catégorie des artistes les plus chers de leur vivant, derrière David Hockney ou Jeff Koons. Everyday : the First 5.000 Days, assemblage de dessins et animations réalisés quotidiennement durant 5.000 jours d’affilée, situe Mike Winkelmann (le vrai nom de Beeple), parmi les trois artistes les plus chers du monde de leur vivant, tous supports confondus. Il n’avait vendu aucune oeuvre il y a six mois mais l’artiste américain incarne désormais la fièvre des collectionneurs numériques, qui déversent des milliards sur un marché en pleine explosion.
Ce père de famille de Charleston, en Caroline du Sud, avoue que tout cela lui donne un peu « le tournis ». Fin février, une autre de ses oeuvres, Crossroads, s’était revendue 6,6 millions de dollars (dont Beeple a touché 10%) sur la plateforme Nifty Gateway, spécialisée dans les oeuvres virtuelles. Et une animation qu’il avait lui-même vendue fin octobre 2020, pour un dollar symbolique, a récemment été acquise pour 150 000 dollars.
L’oeuvre proposée chez Christie’s s’appuie sur un projet atypique de long terme, celui de réaliser, chaque jour, une oeuvre, sans interruption, pour progresser en dessin et graphisme.
Concepteur de sites internet lassé par son emploi, Mike Winkelmann s’est lancé en mai 2007 dans Everyday et en est désormais à 5.062 jours consécutifs. The First 5.000 days réunit, sous forme numérique, ses 5 000 premiers dessins et animations. Pendant 14 ans, il a accumulé près de deux millions d’abonnés sur Instagram et collaboré avec de grandes marques ou des musiciens célèbres, attirés par son univers graphique, sans pour autant vendre aucune oeuvre à son nom. Mais en quelques jours, une nouvelle technologie l’a placé en orbite, pour en faire l’un des artistes les plus en vogue du monde.
Elle permet de commercialiser des oeuvres, et à peu près tout ce qui est imaginable sur internet sous la forme de « NFT », pour « non-fungible token », ou jeton non fongible. Cette appellation, née en 2017, recouvre tout objet virtuel à l’identité, l’authenticité et la traçabilité en théorie incontestable et inviolable, grâce à la technologie dite de la « blockchain », utilisée pour les cryptomonnaies telles le bitcoin.
L’important, c’est la rareté
« Je crée de l’art numérique depuis un moment maintenant », explique Mike Winkelmann « mais ce truc de NFT, c’est nouveau pour moi. (…) J’avais l’impression que ça sortait de nulle part. » « C’est comme si, tout d’un coup, y avait le moyen parfait pour vendre les oeuvres que je fais depuis une décennie », s’émerveille-t-il.
« Ce n’est que lorsqu’il s’est mis aux NFT, en octobre, qu’il a pu entrer sur le marché et vendre son art comme le fait un peintre ou un sculpteur », explique Noah Davis, expert de Christie’s. « Ça fait 20 ans que j’essaye de convaincre les gens qu’un fichier numérique peut être considéré comme de l’art », explique Steven Sacks, propriétaire de la galerie new-yorkaise bitforms.
Jusqu’ici, « nous avions vendu beaucoup d’oeuvres mais à une toute petite communauté de gens dans le monde de l’art. » « Maintenant », dit-il, « vous avez des millions de gens qui considèrent ça comme un support légitime. » « L’aspect artistique est superficiel » pour beaucoup de ces collectionneurs, regrette-t-il. « L’important pour eux, c’est la rareté. » « Il y aura probablement une bulle », estime Mike Winkelmann, qui compare le phénomène à la bulle internet des années 2000.
Beeple songe déjà à des expositions physiques après la pandémie, et plus généralement, à donner à certains de ses travaux une incarnation matérielle.