Plusieurs acteurs et puissances étrangères jouent en Libye des rôles allant des plus décisifs au plus insignifiants ; mais comme le jeu des alliances et des mésalliances ne cessent pas en cette période, les rapports de force sont en continuelle formation/déformation. Ainsi, les Etats Unis, le Qatar, les Emirats, le Maroc, la France, Israël, la Russie, la Turquie, l’Italie, l’Allemagne, l’Egypte et…l’Otan, y ont des menées, en clairs ou en crypté.
Un des modus operandi en crypté a été récemment la rencontre secrète qui a réuni, au Maroc, Khaled Méchri, président du Haut Conseil d’Etat, avec Aguila Salah, président de la Chambre des députés. Si cette réunion semble avoir pour objectif, directement ou indirectement, le rétablissement du partenariat politique entre les deux Conseils, elle a aussi des ambitions différentes non avouées, tant pour le duo Aguila-Salah que pour les puissances qui les téléguident.
La tenue de cette réunion, qui n’est pas décisive, mais qui demeure importante (il ne faut jamais mésestimer même les plus petits schémas en stratégie), a été soutenue par diverses parties, dont Israël qui a insisté pour sa tenue au Maroc. L’objectif premier de la réunion aura été son effet d’annonce, pour contrebalancer les points engrangés tant en Libye qu’ailleurs dans l’espace maghrébin par l’Algérie. Le fin fond de l’affaire demeure, bien sûr, la présidentielle qui devrait unir les Libyens autour d’un seul président, légitime et accepté par tous. L’enjeu étant de cette importance, plusieurs puissances étrangères tentent de peser lourd sur le cours des événements pour avoir en main le n° 1 de la Libye de demain. Et chaque candidat en Libye essaye de s’entourer de l’aide et de la bienveillance de puissances étrangères, sachant qu’il est assis, même étant président à Tripoli, sur un siège éjectable s’il ne se barricade pas derrière une puissance. On a bien vu que si le gouvernement de Tripoli est en place c’est grâce aux drones turcs qui avaient repoussé et humilié l’avancée du maréchal Haftar sur la capitale.
Le jeu fourbe du maréchal
La candidature de Seïf al-islam Kadhafi semble avoir chamboulé les plans de Haftar et consorts. Seïf, véritable « boîte noire » de son père, en sait des choses sur tout et sur tous. Sur le jeu fourbe de Haftar, en premier lieu. Donc, priorité a été « donnée » en Libye même, par des parties étrangères, pour son élimination. Proche de l’Algérie, qui avait refusé la remise de la Libye clé en main entre les mains des leaders du Gicl, principaux meneurs, à l’image de Abdelhakim Belhadj, de la rébellion franco-atlantiste, Seïf est d’abord, l’ennemi du maréchal, et de ce fait, de ses parrains franco-israéliens, l’Egypte ayant adopté depuis lors, une démarche politique plus légitimiste, et donc, plus proche de celle de l’Algérie.
Si d’aucuns estiment que le président de la chambre des députés, Aguila Salah, cherche de nouvelles alliances pour faire face au rapprochement entre Haftar et Bachagha et vise à faire chuter le gouvernement et le Conseil présidentiel actuels, en accord avec Méchri, d’autres observent les alliances contre-nature avec Haftar avec la méfiance qui sied à ce type d’accords « contractuels ». Haftar n’a pas fait le voyage marocain, mais a envoyé son homme-lige, de même qu’il n’est pas parti en Israël contracté des appuis, mais a bel et bien délégué son fils, devenu son conseiller, pour ce faire. La rencontre Méchri-Aguila était informelle mais fondée sur le pouvoir et l’influence de l’homme fort de l’est au sein de la Chambre des députés.
Une des curiosités de cette réunion secrète entre Méchri et Aguila, tenue la semaine passée, aura été qu’elle a été à peine dévoilée par des médias internationaux. Son importance, pour Alger, réside dans ce qu’elle intervient dans un contexte particulier, celui de la recherche de l’élaboration d’une nouvelle « feuille de route libyenne ».
La visite de Aguila Salah en Algérie, en sa qualité de président du Parlement, trois mois avant la date de l’élection, avait laissé transparaître un certain rapprochement avec Alger, ce qui, dans l’esprit des puissances pro-Haftar, ne présageait rien de bon. Cela peut, en partie, expliquer le pourquoi du caractère secret de la rencontre au Maroc. Un des principes de l’influence en stratégie réside dans les effets laissés par la « dernière » phase d’un processus.
De toute évidence, aucun détail n’a été dévoilé au sujet de cette réunion de même qu’aucun élément palpable n’a été dévoilé ; on ne sait pas non plus si une nouvelle feuille de route a été tracée. Cependant toute cette discrétion absolue en dévoile l’enjeu et l’importance.
Des sources disent qu’une pression a été mise sur Aguila pour qu’il cède sur l’exclusion du Conseil d’Etat dans l’élaboration des lois électorales et en matière de priorité du référendum sur la constitution avant d’aller aux élections. Selon des sources dans lesquelles a puisé le très informé Agance Anadolu, toujours très au fait de l’information libyenne, l’ancien conseiller politique du Haut Conseil d’Etat, Achraf Choh, a évoqué des contacts entre Méchri et Aguila, à l’initiative de l’ancien ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, pour former un nouveau Conseil présidentiel qui sera présidé par Aguila Salah avec Méchri comme membre, tandis que Bachagha dirigera le nouveau gouvernement. De plus, les élections seront reportées de 24 mois.
Un invité-surprise nommé Seïf al-islam
On sait tous que Haftar se serait opposé à la candidature de Aguila à l’élection présidentielle, même si ce dernier avait insisté à s’y engager, malgré l’intervention de l’Égypte pour jouer le rôle de médiateur entre les deux personnalités, en les accueillant au Caire, et la tentative égyptienne de convaincre Aguila Salah de se retirer de la course à la présidentielle.
Haftar et Aguila, c’est comme Zemmour et Le Pen en France : la candidature de l’un grignotera sur les chances de l’autre : donc un des deux candidats doit disparaitre. Haftar estime que que Aguila Salah va le gêner dans le Cyrénaïque, de même qu’il cherche « par tous les moyens » à empêcher l’entrée en lice de Adelhamid Dbeibeh, Chef du gouvernement d’Union, mais encore plus de Seïf al-Islam Kadhafi.
La paix au Maghreb, comme son chambardement, sera tributaire de ce qui se passera en Libye. La paix, comme la guerre, se construit sur des stratégies. Alger dispose déjà du crédit du peuple libyen, ce qui est inestimable, mais insuffisant. Elle dispose encore de la légitimité du voisin, ce qui n’est pas le cas pour les autres puissances en jeu en Libye. Elle a à son crédit d’avoir déjà concocté des plans de paix et pu avoir l’accord de tous les acteurs essentiels en Libye de se réunir autour.
Il est vrai qu’Israël, lors de l’ « incursion » de Bernard-Henry Levy à Tarhouna, a laissé une impression d’avoir son clan et ses troupes de « contras » à l’intérieur même de la Libye, tout autant que le Qatar et la Turquie, mais il est vrai aussi que l’entité sioniste, s’il elle peut « grenouiller » avec certains chefs locaux, ne peut jouer en clair avec la population libyenne, qui rejette dans son ensemble toute action israélienne sur son sol.