Le sommet Union africaine-Union européenne s’ouvre pour deux jours les 17 et 18 février; que pourraient dire les Africains aux Européens et que doivent savoir les européens des exigences africaines?
Telles sont les deux questions que « L’Express » a posé à ses collaborateurs et experts qui ont l’habitude de publier sur ses pages, en leur demandant des réponses succinctes.
Hamata Ag Hantafaye
(Politologue, ancien chef de la rébellion de 1991)
Pour arrêter les dégâts en Afrique dus au néocolonialisme, il faut un arbitre extérieur et une justice internationale. L’ONU est bien placée pour cela mais elle ne fait pas son travail car elle est prise en otage par les détenteurs du droit (injuste) de véto.
Regardez la Guinée qui s’est débarrassée dès le début de la tutelle française; son fonctionnement, son économie ont été sabotés par la France avant qu’elle ne la quitte. Ses archives ont été emportées, d’autres détruites, sa monnaie a été fabriquée clandestinement et des milliards de billets mis sur le marché par la France pour déstabiliser le régime « rebelle » de Sekou Touré. Et la liste est longue…
Abdelkader Sissoko
(Administrateur au Mali, analyste)
L’Union Européenne est dans une posture de charme, face à la présence de plus en plus croissante de la Russie et de la Chine sur le continent africain. Il revient donc aux africains d’adopter une stratégie appropriée pour tirer le meilleur parti de toutes les affluences qui se dirigent vers le continent, depuis plus d’une décennie, en quête des potentialités dont l’Afrique regorgent.
Les 150 milliards d’euros que l’Europe entend investir en moyen terme en Afrique devraient dirigés vers les priorités suivantes : l’agriculture et le développement durable; l’éducation et la formation professionnelle ; l’énergie et la mise en place investissements agroalimentaires et l’intégration économique des pays africains : c’est l’occasion d’opérationnaliser la ZLEC, pour mieux exploiter le grand potentiel de consommateurs africains.
Oumar Idoual
(Politologue malien, vit à Nouakchott)
« Les Africains doivent se présenter comme une partie d’intérêt pour leurs peuples. Ils doivent désormais sortir des idées reçues. Le chantage de la dictature ne doit plus les hanter. Qu’ils sachent que ce n’est pas l’Occident qui les maintient au pouvoir. Ce phénomène doit être révolu.
« Qu’ils reviennent vers leurs peuples pour mettre en place des institutions fortes. Qu’ils centralisent les matières premières et mettre en place leur propre monnaie. Ils doivent s’affranchir de la tutelle des puissances impérialistes. Ils doivent affronter l’Union européenne d’égal à égal. Ils doivent regarder vers l’Algérie, le Rwanda et le Botswana…copier ou s’en inspirer ».
Leslie Varenne
(Directrice de l’Institut de Veille et d’Etudes des relations internationales et stratégiques, IVERIS)
« Je ne vois pas qui pourrait y aller…comme je ne vois pas l’utilité de ce Sommet sans le Mali.
« Pour tes questions, d’abord, il faut pour l’Europe d’arrêter de prendre des décisions pour les Africains et de savoir ce qui est bon pour eux ou non. Mais ils n’en feront rien ; ils se soumettent en apparence pour obtenir les fonds et ne font finalement que ce qu’ils veulent. Aussi, les Européens ne comprennent plus rien, ils sont perdus dans leurs procédures en 10 ex. et leurs règles insoutenables ».
Majdou Ag Bilel
(Analyste politique malien)
« Avec l’Union européenne, il sera certainement question du dossier migratoire et du terrorisme. Tout va tourner autour de ces deux points. Les questions de développement seront relatives à ces deux aspects. La question des coups de force comme en Afrique de l’ouest sera également au cœur des débats
« Malheureusement nous ne faisons qu’acquiescer les propositions européennes. Il sera certainement attendu l’amélioration de la contribution par rapport au vaccin COVID et surtout son impact sur le développement économique ; l’aide publique au développement aussi sera abordée, les investissements seront certainement abordés
Jacob Cohen
(Ecrivain, politologue antisioniste)
« Le président français Emmanuel Macron a annoncé récemment lors d’une conférence de presse à l’Élysée vouloir mettre en place un « new deal » pour refonder la relation entre l’Union africaine et l’Union européenne. Ce sommet de Bruxelles réunira les dirigeants des 27 et ceux des 55 membres de l’UA en présentiel. C’est dire si la réunion sera importante à plusieurs égards. D’ailleurs elle a été préparée par une réunion de travail organisée le 19 décembre entre le président du Conseil européen et quelques dirigeants africains. Ceci marque déjà un changement dans la politique des pays européens. Ceux-ci allaient en ordre dispersé s’agissant de l’Afrique, certains privilégiant leurs relations historiques particulières, les autres ne se considérant que peu impliqués. On a pu mesurer la « solitude » de la France dans son engagement au Sahel.
« L’Union Européenne va donc mettre tout son poids dans la balance pour redresser la barre, tenter de modifier la perception coloniale de ses politiques, offrir de meilleures conditions financières et commerciales, se présenter comme un partenaire généreux et respectueux.
« L’Europe a du retard à rattraper. La Chine et la Russie sont passées par là. Et ce qu’elle a perdu ne sera pas retrouvé ».
Djibril Diop
(Universitaire et chercheur sénégalo-canadien)
« Un new deal dans les relations Afrique Europe compte de la nouvelle géopolitique du monde avec l’arrivée de nouveaux acteurs pour la coopération africaine comme les Chinois, les Russes et les Turcs.
« La domination de l’Europe ne peut plus prospérer, donc fondamentalement, il faut aller vers une autre forme de coopération plus équilibrée, car les opinions publiques africaines ont beaucoup évoluées surtout la jeunesse qui constitue près de 70% de la population africaine. Les élites ne pourront plus gérer les pays comme avant sinon les armées vont revenir au pouvoir avec des coups d’État salués par les peuples comme on le voit un peu partout en Afrique de l’Ouest. Cela risque d’être la règle si le système de domination entretenue par l’Occident n’évolue pas vers des rapports plus équilibrés entre l’Afrique et ses partenaires.
Zouda Ag Doho
(Expert du Mali)
L’Europe craint que l’Afrique lui échappe après que le Mali, la Guinée et le Burkina Faso aient secoué le cocotier de la Françafrique. Si cette expérience aboutit politiquement et économiquement, c’est le reste de l’Afrique tout entière qui risque de suivre cette voie. Les Européens ont donc le désir d’endiguer cette nouvelle vague émancipatrice mais aussi trouver un moyen commun de lâcher du lest pour ne pas perdre sa place de partenaire favori au profit des appétits en matière première des chinois par exemple.
M’hamed Benkherouf
(président de la fédération des compétences algériennes à l’étranger)
Les Africains sont en train de dire aux Européens : « Laissez-nous gérer notre continent et stop à toute forme de colonialisme »
« Les européens, de leur coté, doivent reconnaître leur responsabilité historique en Afrique et arrêter de les mépriser et piller les richesses ».
Senda Ould Bouamama
(Ancien porte-parole d’Ansar-Eddine, aujourd’hui vivant en Mauritanie après avoir purgé sa peine. Il a été le premier à donner l’alerte sur les menées qui visaient l’Algérie, au début de l’année 2013)
« Je sais une chose, c’est que les jeunes africains se sont rendus compte qu’il ne peut y avoir dans leur pays un Etat fort et souverain avec toute cette mainmise européenne sur le continent. Ils le disent clairement d’ailleurs : « cela suffit ! Dégagez ! Rentrez chez vous ! »
Atteye Ag Mohamed
(Analyste et professionnel des news maliens)
« A lire certains commentaires au sujet des mercenaires de Wagner, on comprend facilement que bien d’esprits sont encore loin de l’idée de construire une paix durable. Mais bon, à quelque chose malheur est bon, dit-on. Voila au moins une raison pour que nous aidions les autorités de la Transition à renforcer leur soutien populaire face à ce qui ressemble plus à un show public qu’à une vision stratégique sécuritaire.
« Le temps nous le dira, comme il a fini par dire son mot de la fin sur le plébiscite de la France de François Hollande dans les rues de Bamako en 2013 ».